Nous présentons ici des articles écrits par Evelyne Buissière, professeur de philosophie en classes préparatoires de lettres, au lycée Champollion de Grenoble. Elle a bien voulu mettre en ligne l'intégralité des cours qu'elle a rédigés pour un cours sur l'Art en philosophie, thématique qui était au programme du concours d'entrée à l'ENS Lyon en 2004.
Réfléchir sur l’art suppose bien sûr la connaissance de certaines œuvres d’art. Mais notre propos n’est pas celui du critique d’art, ni celui de l’historien d’art, encore moins celui du psychologue. C’est pourquoi, les analyses d’œuvres, les théories sociologiques, psychologiques et psychanalytiques de l’art ne seront abordées qu’en passant, à l’occasion d’analyses philosophiques. Elles sortent de notre domaine et de notre compétence. Ce qui nous intéresse, c’est le statut philosophique de l’art.
En quoi un objet d’art mérite-t-il que le philosophe s’intéresse à lui ? En quoi est-il un objet particulier qui ne satisfait pas seulement un goût social, un désir de se divertir, ou tout autre motivation qui tomberait sous l’analyse du sociologue ou du psychologue mais sur laquelle nous en tant que philosophe, nous n’aurions pas grand-chose à dire. C’est donc la signification philosophique de l’art qui nous intéresse et ce sera l’objet du premier cours. Pourquoi la philosophie doit-elle s’intéresser plus particulièrement à l’art et ne pas le considérer comme un innocent passe-temps ? Et pourquoi l’homme en général trouve-t-il avec l’art une satisfaction essentielle pour son humanité ? Telles sont les deux questions qui structureront notre réflexion en deux grands moments.
Dans ce premier cours, nous allons tenter de voir en quoi l’œuvre d’art est un objet philosophique particulier et comment la philosophie a pu interpréter l’art. C’est la relation de l’esthétique à l’art et de l’esthétique à la philosophie qui peut nous permettre de comprendre en quoi l’art est un objet de réflexion essentiel pour la pensée. De Platon qui refusait tout statut philosophique à l’art jusqu’à Heidegger qui semble l’élever au-dessus de la philosophie comme ce qui peut nous mettre en présence de l’être, l’art est interprété dans son sens. Mais de telles interprétations n’ont-elles pas tendance à remplacer l’œuvre par son sens conceptuel, n’est-ce pas une façon d’oublier l’œuvre ? De plus, que nous dit la philosophie d’elle-même lorsqu’elle interprète l’art ? Il est difficile de traiter de l’art sans aborder le statut de l’esthétique en général, c’est-à-dire celui d‘un rapport immédiat de soi à soi de la conscience. Le rapport de l’art à la vérité est ici central : appartient-il à la philosophie ou à l’art de nous dire le vrai ? Nous interrogerons donc l’art dans sa dimension théorique.
Dans ce cours, nous nous appuierons principalement sur les pensées de Platon, de Hegel, de Nietzsche et de Heidegger.
Dans un second temps, nous nous interrogerons sur la portée pratique des œuvres d’art. Que gagne l’homme à travers l’art ? Pourquoi créer des œuvres ? L’œuvre n’est-elle pas un moyen pour l’homme de réconcilier sa sensibilité et son intelligence, une façon d’exprimer sa liberté et de la réaliser ? L’art peut apparaître comme un outil de libération pour l’homme. Mais n’est-ce pas une bien douce illusion que celle qui confie à l’art une mission peut-être plus efficacement prise en charge par l’action politique ? Nous analyserons dans ce second temps le rapport de l’art et de la liberté humaine avec l’aide d’Aristote, de Kant, de Schiller et d’Adorno.