L'homme est un farfadet qui tombe dans la mort,
Grand puits toujours béant sans corde ni margelle
Et dont l'eau taciturne éternellement dort
Sous l'horreur qui la plombe et l'oubli qui la gèle.Cet ange féminin qui marchait sans effroi,
Au bord des lacs chanteurs où les zéphyrs se trempent,
Voyez comme il est blanc ! Touchez comme il est froid !
Voilà déjà qu'il pue et que les vers y rampent.L'espoir ? Dérision ! l'Amour ? Insanité !
La gloire ? Triste fleur morte en crevant la terre !
L'illusion se heurte à la réalité
Et notre certitude équivaut au mystère.La volupté nous use et racle nos cheveux ;
Nous ne brillons si bien que pour mieux disparaître,
Et quand l'homme insensé vocifère : « Je veux ! »
La maladie arrive et lui répond : « Peut-être ! »Oh ! c'est grande pitié de voir l'atome fier
Montrer le poing au ciel en bavant de rancune !
Ils sont morts aujourd'hui ceux qui régnaient hier :
Pas de grâces ! La mort n'en peut donner aucune.Et tandis que sa faux reluit à l'horizon,
La vie est un cloaque où tout être patauge ;
La femme avec son cœur, l'homme avec sa raison,
Se vautrent dans le mal comme un porc dans son auge.Le philosophe dit : « La vie est un combat !
Souffrir, c'est mériter, jouir, c'est être lâche ! »
Mais le voilà qui geint, frissonne et se débat
Sous l'invisible main qui jamais ne nous lâche.Le poète, oubliant qu'il est de chair et d'os,
Déprave son esprit dans un rêve impossible ;
L'extase dans l'œil, et la chimère au dos
Vole au gouffre final comme un plomb vers la cible.Quand notre heure est marquée au cadran clandestin,
Adieu, parents, amis ! Croulons dans les ténèbres !
C'est le dernier impôt que l'on doit au Destin
Qui tasse notre cendre avec ses pieds funèbres.Nous passons fugitif comme un flot sur la mer ;
Nous sortons du néant pour y tomber encore,
Et l'infini nous lorgne avec un rire amer
En songeant au fini que sans cesse il dévore.
Chaque jour dans la basilique
Ils pleurent pour de nouveaux morts,
Lancinants comme des remords
Avec leur son mélancolique.C'est l'appel grave et symbolique
Que j'entends au gîte et dehors.
Avec ton sanglot métallique,
Vieux bourdon, comme tu me mords !Hélas ! mon âme est destinée,
Quand l'horrible glas retentit,
À grincer comme une damnée,
Car c'est la voix qui m'avertitQue bientôt le train mortuaire
M'emportera comme un colis,
Et que pour le dernier des lits
Je dois préparer mon suaire.
Quand on aura fermé ma bière,
Comme ma bouche et ma paupière,
Que l'on inscrive sur ma pierre :
"Ci-gît le roi du mauvais sort.
Ce fou dont le cadavre dort,
L'affreux sommeil de la matière
Frémit pendant sa vie entière
Et ne songea qu'au cimetière.
Jour et nuit, par toute la terre,
Il traîna son cœur solitaire
Dans l'épouvante et le mystère,
Dans l'angoisse et dans le remord.
Vive la mort ! Vive la mort !"