Article rédigé par Pierre-Olivier Benech
Madame de Sévigné naît à Paris, Place Royale, en février 1626. Orpheline dès son plus jeune âge, elle bénéficie grâce à ses tuteurs d'une enfance heureuse et d'une éducation moderne à l'époque : elle apprend l'italien et commence à fréquenter le monde dans les salons, où elle rencontrera Mme de Lafayette, La Rochefoucauld, Foucquet, etc. C'est ainsi que Mlle de Scudéry dira d'elle :
Sa conversation est aisée, divertissante et naturelle. Elle parle juste, elle parle bien, elle a même quelques fois certaines expressions naïves et spirituelles, qui plaisent infiniment.
Veuve à vingt-cinq ans, la marquise ' qui ne l'est que par façon de dire (elle est en fait baronne) ' porte désormais toute son attention sur sa fille Françoise qui, par son mariage en 1670 avec le comte de Grignan, doit partir pour la Provence. C'est un véritable déchirement pour la marquise, qui commence alors à lui écrire, sur un rythme soutenu de deux à trois fois par semaine, jusqu'à sa mort à Grignan, en 1696.
La première lettre adressée à sa fille date du 6 février 1671. Auparavant, elle écrivait déjà à sa famille et ses relations. Il faut tout d'abord souligner le manque fondamental de cette correspondance : on n'a conservé en effet que les lettres de la marquise, les réponses de sa famille ayant été détruites par sa petite-fille. Cela explique l'impression de monologue et nous oblige à nous replacer dans la perspective d'un dialogue.
Roger Duchêne ' le spécialiste, avec sa femme Jacqueline, de Mme de Sévigné - rappelle fort à propos dans sa Préface de la collection Folio qu'il n'y a « rien de littéraire dans cette entreprise de compensation désabusée. » Car elle écrit « vite, souvent dans la bousculade et toujours sans brouillon ». Ce qui ressort, et finalement ce qui importe, c'est l'amour passionné qu'elle voue à sa fille et dont elle espère la convaincre avec la peur persistante « ne pas être aimée en retour ».
Paradoxalement, et bien malgré nous, nous accordons toute notre attention aux lettres de la marquise, pour qui seules les lettres de sa fille importait : « vos lettres sont ma vie », lui dit-elle. Elle écrit ainsi à la fin d'une lettre :
Adieu ma très chère bonne petite bonne. Profitez de vos réflexions et des miennes ; aimez-moi, et ne me cachez point un si précieux trésor. Ne craignez point que la tendresse que j'ai pour vous me fasse du mal ; c'est ma vie. Croyez aussi ma bonne, que je suis très parfaitement contente de la vôtre.
Cette dimension affective des lettres ' que Roger Duchêne résume en « infinies variations autour d'un banal « je t'aime » » - s'ajoute à l'autre intérêt du texte, c'est-à-dire le témoignage historique sur les événements contemporains, dans le royaume, à la cour, toutes ces « lanternes », ainsi qu'elle dit pour parler des commérages, mais qui intéressent malgré tout les historiens du Grand Siècle.
On peut visiter le château des Rochers-Sévigné, en Ile-et-Vilaine (35), à l'est de Vitré. Château de campagne avec des jardins à la française. Je n'ai malheureusement pas pu visiter l'intérieur mais je reviendrai !
Madame de Sévigné logeait avec les Grignan dans le bel Hôtel de Carnavalet, qui est aujourd'hui un musée. Il vient d'être réaménagé.
On peut visiter le château de Bourbilly, près d'Epoisses en Côte d'or (21), très bel édifice perdu dans la campagne et aux pittoresques tours à poivrière. On peut accéder à environ 5 pièces de styles différents car le château a connu de nombreux propriétaires. Malheureusement, la chambre de Mme de Sévigné ne se visite pas.
Il faut absolument visiter le château de Grignan, en Drôme provençale (26), couronnant un ravissant village provençal. Il est richement meublé et décoré dans un style renaissance.
Deux événements à noter :
une pièce de théâtre jouée dans la cour du château, avec une visite nocturne (juillet et août),
Pendant une petite semaine des écrivains, conteurs, calligraphes, ou encore musiciens s'emparent du village et l'investissent d'ateliers d'écriture, de formation aux arts graphiques, proposent ici une conférence de plusieurs écrivains, là un intermède musical avant le repas, du théâtre au château, ou un café littéraire à l'ombre d'une treille, sirotant la boisson apportée par l'avenante librairie de la Maison du Bailli. Un régal pour littéraires, fouineurs en tous genres culturels comme moi, à taille humaine et qui sent bon la Provence...
...des écrivains de Bussy-Rabutin à Philippe Sollers (Sous la direction de Roger Duchêne. Edition : L'Ecole des Lettres)
J'ai pu découvrir dans la librairie partenaire du festival un livre qui apporte un complément utile à l'approche de la personnalité de la marquise. Consacré aux réactions d'écrivains célèbres qui ont lu les Lettres, il révèle leur attachement, voire leur admiration, mais également leur agacement et même leur indignation pour certains.
C'est certainement cette fascination que la marquise a exercée tout au long des siècles qui la rend encore aujourd'hui si intéressante et mystérieuse.
Quand on place côte à côte les portraits successifs qu'ont donnés lecteurs et critiques de la plus célèbre de nos épistolières, il faut se rappeler qu'ils les ont peints d'après un modèle qui restait et qui reste largement inconnu
nous dit Roger Duchêne, de quoi certainement alimenter encore les imaginations...