Mémoire de Première année de Master de recherche, soutenu le 1er juin. Jury : M. Bertrand Vibert, Maître de conférence et M. Jean-Pierre Bobillot, professeur. Recherche dirigée par M. Bertrand Vibert.
Maurice Rollinat fut un poète (re)connu de son vivant, et pourtant, aujourd'hui, il est presque entièrement oublié des lecteurs et délaissé par la critique universitaire. A partir de ce constat simple, mon travail a consisté à réfléchir aux causes de cet oubli : entre stéréotype et méconnaissance, on ne franchit qu'un pas.
Le premier point majeur qui semble avoir conduit à cet oubli est l'ensemble d'incompréhensions de l'œuvre de Rollinat. Trop longtemps on a appliqué une lecture psychologisante qui a fait de Rollinat le poète névrosé par excellence qui souffrait de maux douloureux que la seule écriture permettait de calmer. Pourtant, cet homme si tourmenté a réussi à nous livrer plusieurs ouvrages, dont Les Névroses qui, si elles parlent d'angoisse, ne prennent pas moins de recul face à la maladie. Il m'a semblé nécessaire de faire le point sur cette sincérité toujours clamée par ceux qui parlent encore de Rollinat : d'abord, en essayant de briser le lien établi de façon naturelle entre le titre du recueil et le caractère potentiellement névrosé de l'auteur. Si le mot « névrose » est à la mode en cette fin de siècle, est-ce pour autant qu'il y a plus de névrosés qu'à d'autres périodes ? Ensuite, en interrogeant le rapport entre écriture et sincérité : est-il nécessaire de rappeler que toute écriture est plus ou moins fiction ? que l'écriture – fût-elle poétique – dissocie l'énonciateur de l'auteur ? et que, parfois même, se servant d'un narrateur qui lui ressemblerait étrangement, l'auteur se prend à jouer avec son lecteur ? Autant de points que la critique semble avoir oubliés d'appliquer aux Névroses de Maurice Rollinat, privilégiant une approche plus sincère et biographique, mais qui ne saurait suffire.
Nous avons ainsi tenté de mettre en balance la sincérité imputée à Maurice Rollinat avec une forme de dérision, laquelle paraît, en outre, intrinsèque à l'époque de la rédaction des Névroses : elles paraissent en 1883, la même année que les Contes cruels de Villiers de l'Isle-Adam ; 1883 marque aussi l'entrée de Maurice Rollinat au Chat Noir ; en 1884 paraîtra A Rebours de Huysmans et l'année suivante, Les Complaintes de Laforgue. Les Névroses sont-elles celles de Maurice Rollinat, et ainsi le récit, par le détour poétique, d'une tragédie existentielle ? ou bien sont-elles, à l'image de l'homme cabaretier, une vaste « comédie de la mort1 » (Gautier) qui prend l'homme pour un moucheron ou qui organise – tout à fait ironiquement – des enterrements pour les fourmis ?
Par ailleurs, au delà du « cas-Rollinat », c'est une question plus vaste qui sous-tend mon propos : alors que Jules Laforgue et Huysmans sont toujours étudiés et lus, et que Hugo, Verlaine ou Mallarmé sont les seuls à obtenir les grâces de la critique, quelle place convient-il de laisser aux « petits maîtres » de la poésie décadente du XIXè siècle ? Le titre de mon mémoire, « pourquoi lire Les Névroses de Maurice Rollinat ? » est un écho à la question-titre de l'ouvrage d'Italo Calvino, Pourquoi lire les classiques ?2. La lecture de cet essai de Calvino est souvent recommandée aux jeunes étudiants en lettres, pour éveiller leur sensibilité à la notion de patrimoine culturel et d'histoire littéraire, et pour les encourager à lire ces œuvres dont on entend toujours parler sans les avoir soi-même « pratiquées ».
Nous avons voulu, à travers la lecture attentive des Névroses et l'examen critique de la biographie de Maurice Rollinat, interroger cette notion de patrimoine littéraire, et de transmission de notoriété, en appliquant la réflexion de Calvino à la lecture d'un inconnu du monde des lecteurs et en renversant la question : au lieu de nous demander « pourquoi lire les classiques ? » (et par là, pourquoi perpétuer la transmission du patrimoine), nous voudrions dire : « pourquoi (ne pas) lire Maurice Rollinat ? » Pourquoi lire cet auteur tombé dans l'oubli ? Faut-il considérer cet oubli comme un hasard de la naturelle sélection de la mémoire (on ne peut pas tout lire, on ne peut pas se souvenir de tous les auteurs), ou comme un symbole d'une certaine façon de lire et de retenir, une certaine façon de promouvoir telle littérature plutôt qu'une autre (celle à laquelle appartient Rollinat) ?
Cette question a paru d'autant plus intéressante et fertile que le cas de Rollinat est révélateur d'un état d'esprit de la critique littéraire qui tend à évincer les tenants d'un art non académique : une poésie qui, en plus d'être décadente, se met en scène et trouve son aboutissement dans des cabarets où le poète crie et incarne davantage ses poèmes à la manière d'un vampire, qu'il ne les déclamerait, la voix pleine d'harmonies. J'ai ainsi essayé de montrer que Maurice Rollinat appartient à cette « lignée oubliée » dont parle Marc Partouche3 qui mêle la poésie – genre noble dans la classification des genres depuis Aristote – à la déclamation, un art de la scène proche d'« un art des bruits4 », qui contient en germe les éléments d'une « révolution médiologique5 » qui trouvera son aboutissement chez les artistes dada et les futuristes.
Comme les artistes de cette « lignée », Maurice Rollinat, faute d'être classé dans une catégorie d'artistes (ni entièrement romantique, ni complètement symboliste), n'a pas pu être apprécié à sa juste valeur, celle d'un lecteur fervent de Baudelaire qui a su, à travers une réécriture partielle de certains poèmes des Fleurs du Mal comme des Contemplations de Hugo, développer une poétique personnelle. Cette impossibilité de le « classer » a été à l'origine même d'une méprise et d'une dévaluation de son art, dont nous avons essayé de montrer la multiplicité des facettes. Il est donc temps de le (re)classer, précisément au sein des inclassables, de ceux qui font de l'art une fumisterie, une blague et de leur vie une œuvre d'art. Il convient d'abolir les cloisons qui le séparent du reste de l'histoire littéraire et artistique. Rollinat nous conduit lui-même sur la voie d'une « réconciliation » qui pourrait ménager un véritable sentiment de l'art, seul dépassement possible d'une situation aporétique. Il développe dans ses Névroses une vision artistique6, celle d'un artiste mais aussi celle d'un amateur d'art et il nous semble qu'il serait intéressant de lire le recueil comme on interprète une ekphrasis : comme de l'art créé à partir de l'art, comme un hommage qui se laisse appréhender comme tel, en laissant explicitement apparaître les éléments de la reconnaissance.
I. Maurice Rollinat, éléments biographiques
II. Un air fin de siècle
III. Figure(s) paradoxale(s) de l'auteur : dandy et ermite, Montmartre et Fresselines
IV. Souffrance et sincérité : la névrose, aussi dans l'air du temps ?
Conclusion
Introduction : Le serpent perd sa mue...
I. Maurice Rollinat et la tradition poétique
II. Écrire l'étrange et la mort
Conclusion
Introduction
I. Écriture(s) de la vanité
II. Rire de l'homme et de la mort : une vision fumiste
Conclusion
I. La poésie comme Art scénique
II. Poe, Baudelaire, Rollinat ... (le lecteur), transtextualité et originalité