Lettres et Arts Histoire Littéraire Moyen-Âge et 16ème siècle Histoire Littéraire 17 et 18èmes siècles Histoire Littéraire 19 à 21èmes siècles Littératures étrangères et francophones Maurice Rollinat Arts Techniques Anthologie Mythologie
Élodie Gaden (juillet 2006)

Conclusion

Réservée au « happy few » d'après Stendhal, l'ironie fait courir à celui qui la pratique le risque de ne pas être compris, Jankélévitch l'explique bien dans L'Ironie1. Il semble que l'œuvre de Maurice Rollinat ait dû et doive encore affronter cet écueil : le lecteur perçoit parfois mal la dimension ironique de son recueil et la réflexion qu'il mène, en creux, sur l'écriture et l'inspiration.

Quand Maurice Rollinat écrit la mort, il le fait avec une certaine dose de rire, de « joie » morbide qui permet d'anéantir le flot de larmes : « l'ironie dégonfle les exagérations inutiles2 » (V. Jankélévitch) à plusieurs niveaux :

Il y a ainsi dans ces divers niveaux d'analyse une véritable « charge subversive4 » si l'on prend la peine d'interpréter les poèmes de Rollinat en prenant garde à la mise en recueil qui relève à son tour d'une forme d'ironie et d'auto-dérision : la reprise de certaines thématiques conduit à des effets de décalage au point que certains poèmes se nient entre eux. La section des « Ténèbres » est à cet égard très finement écrite et présente un enchaînement subtil des thématiques.

Le poème « Le Gouffre » (p. 343) a le mérite de relier toutes les réflexions que nous avons esquissées jusque là, dans la deuxième comme la troisième partie de notre étude (« Dire la mort » et « Une joyeuse morbidité ») et permet de reprendre un peu d'élan avant d'aborder d'autres horizons. Il s'agit du premier poème des « Ténèbres » :

L'homme est un farfadet qui tombe dans la mort,
Grand puits toujours béant sans corde ni margelle
Et dont l'eau taciturne éternellement dort
Sous l'horreur qui la plombe et l'oubli qui la gèle.
Cet ange féminin qui marchait sans effroi,
Au bord des lacs chanteurs où les zéphyrs se trempent,
Voyez comme il est blanc ! Touchez comme il est froid !
Voilà déjà qu'il pue et que les vers y rampent.
L'espoir ? Dérision ! l'Amour ? Insanité !
La gloire ? Triste fleur morte en crevant la terre !
L'illusion se heurte à la réalité
Et notre certitude équivaut au mystère.
La volupté nous use et racle nos cheveux ;
Nous ne brillons si bien que pour mieux disparaître,
Et quand l'homme insensé vocifère : « Je veux ! »
La maladie arrive et lui répond : « Peut-être ! »
Oh ! c'est grande pitié de voir l'atome fier
Montrer le poing au ciel en bavant de rancune !
Ils sont morts aujourd'hui ceux qui régnaient hier :
Pas de grâces ! La mort n'en peut donner aucune.
Et tandis que sa faux reluit à l'horizon,
La vie est un cloaque où tout être patauge ;
La femme avec son cœur, l'homme avec sa raison,
Se vautrent dans le mal comme un porc dans son auge.
Le philosophe dit : « La vie est un combat !
Souffrir, c'est mériter, jouir, c'est être lâche ! »
Mais le voilà qui geint, frissonne et se débat
Sous l'invisible main qui jamais ne nous lâche.
Le poète, oubliant qu'il est de chair et d'os,
Déprave son esprit dans un rêve impossible ;
L'extase dans l'œil, et la chimère au dos
Vole au gouffre final comme un plomb vers la cible.
Quand notre heure est marquée au cadran clandestin,
Adieu, parents, amis ! Croulons dans les ténèbres !
C'est le dernier impôt que l'on doit au Destin
Qui tasse notre cendre avec ses pieds funèbres.
Nous passons fugitif comme un flot sur la mer ;
Nous sortons du néant pour y tomber encore,
Et l'infini nous lorgne avec un rire amer
En songeant au fini que sans cesse il dévore.

Au début de son étude sur l'ironie, Philippe Hamon soulève le problème de la spécificité de l'ironie et son rapport au langage : le langage est-il le « médium nécessaire ou simplement facultatif, à toute communication ironique ?5 » Autrement dit, l'ironie ne peut-elle s'exprimer que par le langage ou peut-elle se dégager d'une situation : cette question nous intéresse tout particulièrement pour Maurice Rollinat. Nous avons bien montré l'imprégnation, dans Les Névroses, d'un langage de l'ironie, mais il semble que l'on peut encore enrichir cette lecture en envisageant la question d'une « ironie situationelle6 » propre à la théâtralisation de la poésie de Rollinat, à sa façon d'être, de vivre, de chanter et de déclamer.

Notes