On pourrait résumer Salammbô (Flaubert, 1862) de plusieurs manières. Par exemple, on pourrait partir de l’intrigue, et tout d’abord de Salammbô, bien sûr. Qui est-elle ? La fille d’Hamilcar. Une initiée –une mystique ? - du culte de Tanit. Une sacrilège, aussi, aux yeux de la religion. Une traîtresse pour son père et Giscon. Une femme belle et courageuse, douloureusement amoureuse. Une femme écrasée par un monde d’hommes et agressif. Peut-être une femme dépassée par une vie hypertrophiée qui eut davantage d’emprise sur sa personne qu’elle-même sur son destin. Un humain face au divin.
Il y aurait à la suite de Salammbô d’autres personnages à présenter, tels son père Hamilcar, suffète (magistrat suprême de l’exécutif carthaginois, une sorte de stratège athénien ou de roi spartiate) et chef des armées de Carthage, appartenant à l’une des familles les plus illustres de la cité. Il y aurait aussi Mâtho, rebelle libyen qui prend le commandement des troupes de mercenaires révoltés contre Carthage pour cause d’arriérés de solde, un colosse par la stature, foudroyé par la vision première de Salammbô et obsédé par sa présence. D’autres protagonistes ont également leur place, comme le fidèle compagnon de Mâtho, Spendius, un ancien esclave d’Hamilcar, l’âme de l’armée rebelle par sa détermination inébranlable à stimuler sans relâche les troupes dans l’épuisement de l’empire. Narr’Havas, roi des Numides, rival de Mâtho et futur époux de Salammbô, Shahabarim, grand-prêtre de Tanit, profondément épris et tourmenteur de la jeune femme par l’impasse de sa foi et de son amour. D’autres personnages sont individualisés, tels deux généraux carthaginois, Giscon et Hannon, de même que Flaubert met en lumière les chefs des peuples révoltés. Resteraient encore les masses de population et de combattants, les injustement oubliées des grands forces qui parcourent l’œuvre.
Mais cette introduction des protagonistes n’est en rien satisfaisante et semble faire appel à un énième drame ou à des luttes de pouvoir à l’antique, mais aucun Néron ni Andromaque ne semble ressortir vraiment. On peut alors tenter une approche de l’intrigue globale, ce qui simplifiera certainement les choses. Nous sommes au lendemain de la Première guerre punique (d’un cycle qui en comptera trois et qui se soldera par la destruction de Carthage), qui oppose Carthage et Rome, au IIIè siècle av. J.-C.. Carthage est épuisée par sa défaite contre Rome et ne peut payer les soldes dus aux mercenaires qu’elle a engagés. Ces derniers, au lieu de rentrer dans leurs patries respectives, décident de se constituer en force armée de pression et d’exiger le paiement de leurs arriérés, tandis que la République cherche à gagner du temps. Excédés, les mercenaires entrent alors en insurrection et menacent Carthage, bientôt rejoints par tous le mécontents vivant sur les terres de la République. C’est le début d’une guerre atroce et interminable qui va s’achever dans une sorte d’apothéose mêlant l’horreur au magnifique, le bonheur à l’amertume.
Pierre-Olivier Benech.