Heidegger veut inventer un nouveau langage philosophique dans Acheminement vers la Parole puisque le langage usuel nous enferme dans la métaphysique. Dans la représentation courante, la parole est « l'expression sonore et la communication des émotions et des fluctuations intimes de l'homme. ». Cette définition suppose trois présupposés. La parole est expression c'est-à-dire un processus d'extériorisation qui renvoie à un intérieur qu'il s'agit d'exprimer. La parole est une activité de l'homme. Enfin, elle a pour objet de communiquer ou de représenter quelque chose. La parole est réduite au rôle d'instrument. Il faut revenir à la parole en tant que parole « Le parlé à l'état pur est le poème. ». Il ne transmet pas d'information, mais il parle purement et simplement, il est le lieu où la parole se manifeste. Le poème nomme, il convoque à la présence ce qu'il nomme. « Nommer est appel. L'appel rend ce qu'il appelle plus proche.... L'appel appelle à venir. » Parler, c'est faire paraître une chose dans son être. « Le langage est la maison de l'être ». La vraie parole est poésie. On assiste à une poétisation progressive du discours de Heidegger.
L'art devient tout entier Poème, effectuation de la vérité. « La vérité, éclaircie et réserve de l'étant surgit comme poème. Laissant advenir la vérité de l'étant comme tel, tout art est essentiellement Poème.... De ce poème de l'art advient qu'au beau milieu de l'étant éclôt un espace d'ouverture où tout se montre autrement que d'habitude. ». Tous les arts se ramènent à la poésie même s'ils en sont pas verbaux : « Si tout art est en son essence Poème, l'architecture, la sculpture, la musique, doivent pouvoir être ramenées à la poésie. ». Le langage est la maison de l'être, il n'est pas seulement un moyen de communication.
On peut se demander ce qui doit prévaloir, de la parole poétique ou de la philosophie ? Parfois Heidegger laisse penser que la philosophie doit s'effacer derrière la poésie. « Pour l'amour de ce qui vient en poème, l'éclaircissement doit viser à se rendre lui-même superflu. Le dernier pas, mais aussi le plus difficile de toute interprétation consiste à disparaître avec tous ses éclaircissements devant la pure présence du poème. ». La métaphysique s'est éloignée de l'être. La philosophie doit s'inspirer des poètes. « La poésie n'est pas devenue infidèle au lieu de l'éclosion originaire, alors que le devenir-philosophie de la pensée -et du monde- détermine par contre le voie sur laquelle nous sommes engagés actuellement. ».
Mais la pensée en sortant de la métaphysique va aussi ouvrir la voie à l'art plutôt que se laisser remplacer par l'art poétique : « Le penseur dit l'être, le poète nomme le sacré. » : le poète est médiateur entre les dieux et les hommes et le penseur est celui qui nous achemine vers la poésie.
Poésie et pensée sont aussi saisies dans leur aspect complémentaire : «Toute pensée qui déploie le sens est poésie, mais toute poésie est pensée. ». Il est difficile de trouver une hiérarchie entre poésie et philosophie. Pensée et poésie sont deux façons d'atteindre l'être, l'une se tient dans l'originaire l'autre dans l'effort de surmonter l'oubli de l'être. Elles disent la même chose de façon différente. Du coup, la pensée peut faire parler le poème sans risque « éprouver par une pensée sobre et dégrisée ce qui, dans le dict de son poème, n'a pas été énoncé. » Le penseur peut reconduire à la pensée de l'être toute poésie. Heidegger a cette méthode d'isoler des mots fondamentaux dans une poésie et de reconstruire la pensée du poète. Schaeffer note que dans son interprétation de l'hymne « Le voyage » de Hölderlin, Heidegger isole les mots « foyer » « rayons » « origine » « fidélité » et qu'il reconstruit à partir de là une réflexion interprétative qui double le poème. Mais il aurait pu choisir d'autres termes. De plus, en isolant les termes, on perd l'ensemble du poème, c'est-à-dire sa valeur poétique littéraire. Heidegger prévient lui-même qu'il ne fait pas de critique littéraire. Il conduit la philosophie à une imite extrême dans la tentative de dépasser le langage de la métaphysique et de retrouver la présence de l'être dans l'œuvre poétique. Son dire s'affranchit progressivement des impératifs de la logique et du langage commun.
Carnap fera une critique féroce de Heidegger estimant que son œuvre n'est que de la mauvaise philosophie alliée à de la mauvaise poésie.
Sans aller aussi loin, Schaeffer note que : « si les arts sont réductibles à l'art, si l'essence de l'art est la poésie et si la poésie dit le même que la philosophie, on n'a plus que faire, ni des arts, ni de cet art particulier qu'est la poésie. Ainsi l'art finit par digérer les arts, et la théorie spéculative, devenue spéculaire, ne réfléchit plus qu'elle même dans un face-à-face stérile. ». De fait, les œuvres concrètes ont disparu au profit de l'analyse de la fonction ontologique de l'art. Sortir de la métaphysique pour laisser être l'être était le projet de Heidegger. En conséquence, les formes subjectives de la représentation ne sont plus celles de l'événement : la compréhension rationnelle de ce qui advient et l'agir rationnel sont des formes encore métaphysiques. La philosophie assume une dimension contemplative, elle est proche de l'art.
Heidegger : « Que reste-t-il à dire ? Rien que ceci : l'avènement advient. » (Question IV Temps et Etre). Et l'art le dit parfaitement. Il est bien ouverture à l'être. Mais est-il possible de réduire la philosophie à une dimension purement contemplative en la réduisant à délivrer le même sens que l'art ? En adoptant une position esthétique, contemplative, Heidegger fait de la philosophie une sorte de complément ou de redite de ce qui dit l'art. Mais l'art est un domaine de pensée parmi d'autres pour la philosophie (on peut même le concevoir comme une étape essentielle comme le fait Hegel sans pour autant annuler les autres domaines) et il semble difficile de réduire la philosophie dans son entier à une visée esthétique surtout à une époque où les évènements semblaient plutôt devoir conduire à approfondir une vision morale ou politique de l'histoire.