Les longs brouillards de la nuit pleurent au bord du Nil. Perdue dans les espaces solitaires de l'abîme, Isis, pleure esseulée, lentement. Ses larmes viennent tomber dans le fleuve bleu qui coule et dont les dernières vaguelettes se meurent sur la rive, avec un bruit de soupir étouffé.
Nature, Isis, toi éternelle, pourquoi créer la vie, le monde et les êtres puisque toi-même, du haut des voûtes bleues où brûlent les étoiles, tu pleures d'être...
Je te demande le grand pourquoi, celui auquel aucun dieu n'a encore répondu et que tu dois connaître, toi qui sais tout, comprends tout. Pauvre et faible créature, mon ignorance t'implore. Dis, mère de toutes les mères, vie éternelle de toute vie éphémère, pourquoi as-tu donné la vie, la douleur, puisque tu savais que toute destinée est fatalement malheureuse.
Tu ne me réponds pas, tu pleures. Les brumes bleues tombent en petites gouttelettes dans l'urne de tes larmes, le fleuve-dieu pareil à un saphir sombre argenté par la lune.
Qui sait, miséricordieuse, tu pleures peut-être les larmes de ceux qui n'en ont pas assez versées sur terre pour entrer purs dans les demeures d'Osiris. Tu pleures les larmes de ceux qui n'auront pas la sainte énergie de souffrir.
Ce soir, tu fais frissonner le palmier poussiéreux, chanter le batelier attardé. Et tes pleurs divins me consolent. J'aime ce fleuve né de ton ennui d'être, de ton chagrin, de ta pitié. Pour tes larmes, Isis, nature, je t'aime.
Mai 1918
Poème paru dans Le Phœnix, Revue de la Renaissance Orientale dirigée par Valentine de Saint-Point, année 2 (1926), n°5, p.36.