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Élodie Gaden (août 2006)

Introduction

Dans « L'humour jaune des Complaintes » consacré à l'analyse du rire dans l'œuvre de Jules Laforgue, Jean-Pierre Bertrand explique que

le rire, comme l'on sait, exige deux êtres en présence. De cette nécessité pragmatique naît l'écriture comique : pas d'écriture de soi sans intervention de l'autre. [...] Par le rire, les poètes décloisonnent l'isolement dans lequel la logique institutionnelle de la littérature les a placés.

Jean-Pierre Bertrand, « L'humour jaune des Complaintes », Romantisme n°75, 1992, p. 3.

Cette remarque, qui vaut pour Rollinat, permet de s'interroger et d'essayer de cerner la présence de cet « autre » qui, dans Les Névroses, dépasse le cadre de l'écriture comique. En effet, cet « autre » est d'abord le lecteur, forcément impliqué, comme l'explique Jean-Pierre Bertrand, par le rire ; mais cet « autre », ce sont aussi ces autres, ceux que Maurice Rollinat admire, poétiquement, littérairement, artistiquement, qu'ils soient ses amis ou ses pairs, et qu'il fait revivre à travers ses poèmes. La « logique » de l'œuvre de Rollinat n'est pas unilatérale et simple, mais complexe et dialectique. Son œuvre représente et exhibe la dualité : Rollinat a aimé Baudelaire, Chopin, Poe..., et le recueil des Névroses est le moment, non de dissimuler ces influences, mais de les mettre à l'honneur.

Il s'agit donc pour nous de dépasser une vision confuse que l'on peut avoir de l'écriture de Maurice Rollinat, autant que de la littérature fin de siècle, afin de dégager une conception « globale » et d'en finir avec une vision réductrice de la personnalité comme de l'œuvre de Rollinat. Non : Rollinat n'a pas plagié Baudelaire, son œuvre diverge en bien des points des Fleurs du Mal, nous avons essayé de le montrer avec précision. Au contraire, Rollinat pratique la poésie d'une façon tout à fait personnelle : il rend hommage plus qu'il ne plagie, et il se détache d'une tradition poétique plus qu'il ne s'y rattache, ce qui explique la difficulté de le classer.

Car Rollinat déclasse à l'infini : il renverse les valeurs d'abord, avec une mort davantage parcourue d'un rire nerveux et moqueur que tragique et pathétique ; il renverse ensuite la pratique même de la poésie. Maurice Rollinat n'est pas un poète qui fait des vers « ainsi qu'on fait des cigarettes » (François Coppée), il n'est pas inspiré par une Muse mais par le diable qui l'habite ; il ne récite pas ses vers, mais les déclame, les chante... les CRIE ! Maurice Rollinat ne lit pas sa poésie, mais la joue. Et cela témoigne peut-être d'une mutation (durable à plus ou moins long terme ?) de la poésie que pourtant la critique s'est employée à cacher derrières les grandes figures... C'est cet aspect là de Rollinat que nous voudrions maintenant aborder, car il paraît majeur pour parfaire cette étude de poursuivre un double objectif : pour comprendre et apprécier Rollinat, il faut ne pas négliger cette dimension sociologique et quasiment matérielle qu'est la technique particulière qu'a développée Rollinat. Mais en plus, le cas particulier de Rollinat nous permet de mieux saisir les modalités de la vie de cabarets et le manque qui l'entoure du côté des études littéraires comme de la critique. Rollinat nous fournit donc à la fois la démonstration et l'exemple d'une époque ainsi que la méconnaissance de cette période.