Ce poème fait partie du recueil Les poèmes de la mer et du soleil publié aux éditions Vannier Messein en 1905.
Soleil, mâle de la terre, Force de l'homme,
Rut des bêtes, Roi des dieux, accueillez ce nome !
Dispensateur de vie et de mort et d'amour,
Chaleur, Lumière, Temps, rythmant la nuit le jour ;
Vous, qui aspirant la plante, faites la terre,
L'été, plus douce à mes pieds, aux morts moins austère ;
Vous, qui baisant la mort, créez la puanteur,
Le ver infecte, l'insecte assassin et la fleur ;
Soleil, qui dans la loque ouvrez la dalmatique,
Et dans l'âpre misère une grâce exotique ;
Qui, pour la joie humaine en l'immense décor,
Épandez impalpable et pur et divin, l'Or ;
Soleil, qui posez tant de couleurs et de gemmes,
Que la tête se courbe avide de diadèmes ;
Soleil, qui faites plus jeune et plus vif son sang,
Mes yeux plus éblouis, mon regard plus puissant ;
Mes cheveux d'or bruni moins lourds sur ma pensée ;
Qui mettez dans mon âme une joie insensée ;
Et tant de forces pour vivre et pour sustenter
Mes passions, que j'étouffe et qu'il me faut chanter ;
Vous, qui par la caresse enivrez l'instinct, sève
de ma chair jusqu'à la danse ou bien jusqu'au rêve ;
Vous qui vaporisez, Soleil, un tel parfum
Que Seule, je ne puis humer l'air opportun ;
Soleil, mon corps est la forêt de tentacules
Qui tous dressent vers Vous leur spasmes majuscules ;
Et, s'il s'agenouillait, ce serait devant Vous ;
Il vous crie : Hosanna ! Soleil, animez-vous !
Mais de vous préférer parfois votre soeur l'Ombre,
Son mystère plein de rêves où l'orgueil sombre,
Où, vous immolant la Chimère du Sommeil,
Je chante votre gloire et votre éclat vermeil,
Pardonnez-moi Soleil !
Ce poème s'inscrit tout à fait dans l'influence Méditerranéiste et Apolliniste que subit Valentine. Dès 1905, elle est attirée par la Méditerranée, qu'elle considère comme le berceau des civilisations. Après une période d'angoisse à la charnière des deux siècles, Valentine trouve en l'art qui se développe dans le sud les valeurs rassurantes de la nature et celles du monde méditerranéen. Ainsi, à partir de 1904 - 1905, elle abandonne la vision pessimiste souvent troublée des œuvres symbolistes pour renouer avec un nouveau paganisme appelé aussi Apollinisme dont V. Richard de la Fuente donne la définition suivante : "Tendance fondée sur la théorie de la vie et du plaisir développée parallèlement au dogme Futuriste qui glorifiait l'action la vitesse et le présent comme valeurs primordiales" (V. R. F., p 142).
Apollinisme et Méditerranéisme sont en étroite liaison puisqu'ils sont deux conceptions de l'art en quête d'harmonie, de sérénité, d'ordre et de lumière. Cézanne est un des exemples d'artistes qu'on peut citer, qui répondent à cette tendance : il fait de nombreux séjours dans le sud, loin du milieu parisien. Cette immersion dans la nature méditerranéenne est vécue comme un retour à l'harmonie des origines, bien traduit dans certains poèmes de Valentine comme cet extrait de l'« Hymne au Soleil. »
La caverne était sombre et grande l'assemblée.
Au milieu, un pantin, objet de la veillée.
Chacune à son côté, près: moi-même et la Mort,
Chacune le tirant par un bras. Et mon sort
Etait clos en ce masque inanimé, si flasque!
Et, toute, je m'arquais, comme dans la bourrasque,
A la Mort, comme au vent, opposant ma vigueur
Que décuplait mon sang ardant d'être vainqueur.
Si mon effort cédait, certes j'étais perdue;
Ma volonté de vivre était toute tendue.
Mais, du pantin, la Mort arracha la moitié,
L'autre, en mes mains resta. Le peuple convié
Eclata d'un grand rire. Avec son laid trophée,
La Mort s'enfuit - Comment lire ma Destinée?
La foule, après la Mort, peu à peu disparut
A mes yeux sans pensée. Et quand le bruit décrut,
Je regardai ma part du pantin morne et veule,
Dans la caverne obscure, où je demeurai seule.
Je mourrai, un jour de fête,
Alors que les pantins dansent.
Je n'entre pas dans leur danse,
Je ne fête pas leurs fête.
Je mourrai, un jour de fête,
Alors que les pantins dansent.
Alors qu'ils crient et qu'ils hurlent
Tous, une gaieté prescrite,
Rien je ne crie ni ne hurle,
Même une vertu proscrite.
Et leur vacarme est si faux
Que je ne puis m'écouter.
Dans un factice, si faux,
Vie ne se peut écouter.
Mon silence, mort au bruit,
Silence pour quoi je vis,
Cela seul par quoi je vis,
Mon silence, mort au bruit.
Ma solitude est si lourde,
Amertume inguérissable!
Solitude riche et lourde,
Solitude inguérissable!
Je mourrai, un jour de fête,
Alors que les pantins dansent.
Je n'entre pas dans leur danse,
Je ne fête pas leurs fêtes.
Je mourrai, un jour de fête,
Alors que les pantins dansent.